E-cigarette, un débat à pleins poumons
Pour certains médecins, la clope électronique est une révolution. Mais le plan contre le tabagisme prévoit d’en limiter l’usage.
En matière de santé publique, les débats sont souvent posés, mesurés, et maîtrisés. Ce n’est pas le cas sur l’e-cigarette. Comme rarement, les positions partent dans tous les sens. Pour ou contre ?
Il y a un an, le professeur Antoine Flahault avait lancé l’offensive dans Libération (du 29 octobre 2013) : «La cigarette électronique, c’est la révolution, cela peut changer la face du tabagisme dans le monde, n’oublions pas que le tabac est le serial killer le plus meurtrier de toute l’histoire de l’humanité.» Et il ajoutait : «Les risques sont minimes et, pour la première fois, un outil de prévention est imposé par la base, c’est peut-être pour cela que les experts sont réticents.»
Lieux publics. Il n’a été que partiellement entendu par les autorités sanitaires. Fin septembre, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, en présentant ces mesures antitabac, s’est montrée prudente sur la cigarette électronique, mettant en avant l’absence de données fiables. Son plan contre le tabagisme prévoit ainsi qu’elle sera interdite dans certains lieux publics : établissements accueillant des mineurs (comme les écoles), transports en commun et espaces clos collectifs de travail. La publicité sera, elle aussi, limitée, puis interdite en mai 2016, conformément à une directive européenne. Une décision jugée «aberrante» par la fédération des professionnels de la cigarette électronique (Fivape) qui reproche de «mettre la cigarette électronique au même niveau que le tabac».
Tabac à rouler. Dans les faits, les ventes de cigarettes (en volume) ont reculé de 8,6% en août sur douze mois et celles de tabac à rouler de 4,2%, selon les derniers chiffres de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Alors que les ventes de cigarettes électroniques et de produits associés sont en forte augmentation. Sur 16 millions de fumeurs, «il y en a 2,5 millions qui utilisent régulièrement une cigarette électronique», précisent les représentants de la Fivape.
Tabac à rouler. Dans les faits, les ventes de cigarettes (en volume) ont reculé de 8,6% en août sur douze mois et celles de tabac à rouler de 4,2%, selon les derniers chiffres de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Alors que les ventes de cigarettes électroniques et de produits associés sont en forte augmentation. Sur 16 millions de fumeurs, «il y en a 2,5 millions qui utilisent régulièrement une cigarette électronique», précisent les représentants de la Fivape.
Trois spécialistes nous donnent leur avis :
«On risque de renormaliser la consommation de tabac »
INTERVIEW
INTERVIEW
Christian Ben Lakhdar du Haut Conseil de santé publique
Christian Ben Lakhdar, économiste, maître de conférence à l’université de Lille, est membre du Haut Conseil de santé publique.
«L’e-cigarette est-elle un médicament, un supplément nicotinique, une nouvelle cigarette ? On ne connaît pas son statut. Le Haut Conseil de santé publique a voulu pointer les incertitudes et les risques potentiels qui l’entourent. Le premier, c’est le risque d’initiation à la nicotine. Le second, une renormalisation de la consommation du tabac. Et, pour le moins, on ne peut pas dire aujourd’hui que l’e-cigarette va signer la victoire de la santé publique. Enfin, se pose la question du statut de la cigarette électronique.
«Sur le premier point, il y a quelques études, peu nombreuses certes, qui montrent des jeunes adolescents qui rentrent dans le tabac par le biais de la cigarette électronique. Nous n’avons pas de données précises, sauf quelques-unes en provenance des Etats-Unis, mais le risque existe.
«Et puis il y a une étude réalisée par Bertrand Dautzenberg (lire ci-dessous) auprès des jeunes lycéens : il y a autant de jeunes qui commencent par l’e-cigarette que de jeunes qui commencent par le tabac, autour de 6% chacun. Est-ce que cela fera 12% de fumeurs ? Nous n’en savons rien.
«Deuxième interrogation, la mode de l’e-cigarette va-t-elle renormaliser le fait de fumer ? Sur ce point aussi, nous manquons de repères fiables, mais la question mérite d’être posée. Nous disons : ne soyons pas naïfs, surveillons, regardons, réglementons. On ne dit pas "l’e-cigarette est une victoire contre le tabac", mais on ne nie pas non plus que cela peut être un chemin vers le sevrage : nous nous interrogeons. Et restons vigilants.
«En outre, il faut noter que les industriels du tabac travaillent sur une nouvelle cigarette baptisée "ploom". C’est "une expérience de tabac unique, différente de la cigarette électronique", selon Japan Tobacco International (JPI), fabricant de Camel et Winston, qui commercialise ce nouveau vaporisateur de tabac. Fini le liquide à base de nicotine des e-cigarettes, il est remplacé par des capsules de tabac sur le modèle des Nespresso. Le tabac étant chauffé et non pas brûlé, les capsules fonctionneront "environ dix minutes quand une cigarette dure cinq minutes". Vous le voyez, les industriels du tabac sont toujours prêts à investir. Et cherchent à créer de nouveaux modes de consommation du tabac.»
Christian Ben Lakhdar, économiste, maître de conférence à l’université de Lille, est membre du Haut Conseil de santé publique.
«L’e-cigarette est-elle un médicament, un supplément nicotinique, une nouvelle cigarette ? On ne connaît pas son statut. Le Haut Conseil de santé publique a voulu pointer les incertitudes et les risques potentiels qui l’entourent. Le premier, c’est le risque d’initiation à la nicotine. Le second, une renormalisation de la consommation du tabac. Et, pour le moins, on ne peut pas dire aujourd’hui que l’e-cigarette va signer la victoire de la santé publique. Enfin, se pose la question du statut de la cigarette électronique.
«Sur le premier point, il y a quelques études, peu nombreuses certes, qui montrent des jeunes adolescents qui rentrent dans le tabac par le biais de la cigarette électronique. Nous n’avons pas de données précises, sauf quelques-unes en provenance des Etats-Unis, mais le risque existe.
«Et puis il y a une étude réalisée par Bertrand Dautzenberg (lire ci-dessous) auprès des jeunes lycéens : il y a autant de jeunes qui commencent par l’e-cigarette que de jeunes qui commencent par le tabac, autour de 6% chacun. Est-ce que cela fera 12% de fumeurs ? Nous n’en savons rien.
«Deuxième interrogation, la mode de l’e-cigarette va-t-elle renormaliser le fait de fumer ? Sur ce point aussi, nous manquons de repères fiables, mais la question mérite d’être posée. Nous disons : ne soyons pas naïfs, surveillons, regardons, réglementons. On ne dit pas "l’e-cigarette est une victoire contre le tabac", mais on ne nie pas non plus que cela peut être un chemin vers le sevrage : nous nous interrogeons. Et restons vigilants.
«En outre, il faut noter que les industriels du tabac travaillent sur une nouvelle cigarette baptisée "ploom". C’est "une expérience de tabac unique, différente de la cigarette électronique", selon Japan Tobacco International (JPI), fabricant de Camel et Winston, qui commercialise ce nouveau vaporisateur de tabac. Fini le liquide à base de nicotine des e-cigarettes, il est remplacé par des capsules de tabac sur le modèle des Nespresso. Le tabac étant chauffé et non pas brûlé, les capsules fonctionneront "environ dix minutes quand une cigarette dure cinq minutes". Vous le voyez, les industriels du tabac sont toujours prêts à investir. Et cherchent à créer de nouveaux modes de consommation du tabac.»
«Je suis un farouche partisan du vapotage»
INTERVIEW
INTERVIEW
Professeur Bertrand Dautzenberg, pneumologue
Le professeur Bertrand Dautzenberg est pneumologue à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière, et préside l’Office français de prévention du tabagisme.
«L’e-cigarette est une avancée majeure en santé publique si on la manipule du bon côté. Car elle est un produit qui peut être très près du tabac, mais aussi très près pour quitter le tabac. Tout le combat, aujourd’hui, est de pousser ce produit dans le bon sens. Pour cela, il faut que les règles et les normes qui régissent son usage et sa fabrication soient le fait des autorités, et non des cigarettiers. Il faut notamment des produits de qualité, et une interdiction de la publicité. Ensuite, il ne faut pas autoriser de vapoter partout, dans les cours de lycée, les couloirs des hôpitaux. Il faut l’interdire dans les lieux de forte proximité entre les gens.
«En fait, je suis pour l’interdiction de vapoter là où l’on ne peut plus fumer. Même s’ il reste des incohérences à régler : on peut fumer en prison, mais pas vapoter. Dans les hôpitaux psychiatriques, certains l’autorisent, d’autres pas. On attend des règles précises, alors que les annonces de la ministre me paraissent un peu floues.
«Reste que je suis un farouche partisan du vapotage pour une simple raison : un fumeur sur deux va mourir du tabac. Un vapoteur, jamais ou exceptionnellement. Un nombre important de fumeurs qui essayent la cigarette électronique y trouvent une satisfaction qui leur permet d’arrêter la cigarette, alors qu’ils n’en avaient pas l’intention. Ils y trouvent un nouveau plaisir. On ne dit pas aux gens "sevrez-vous", on leur dit changer de plaisir ! Et cela marche.
«L’an passé, on a enregistré une baisse de 7,2% de ventes de cigarettes ou de tabac. Près de 20% en quatre ans. Une chute inédite. Sans aucun fait nouveau, hors l’arrivée de la e-cigarette. On peut donc lui attribuer une bonne partie de cette baisse. Je ne dis pas que la cigarette électronique est un miracle, mais c’est un outil qui peut considérablement aider. On a longtemps cru que la motivation était le seul critère pour arrêter de fumer. Maintenant, on voit que c’est le plaisir. Celui de vapoter.»
Le professeur Bertrand Dautzenberg est pneumologue à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière, et préside l’Office français de prévention du tabagisme.
«L’e-cigarette est une avancée majeure en santé publique si on la manipule du bon côté. Car elle est un produit qui peut être très près du tabac, mais aussi très près pour quitter le tabac. Tout le combat, aujourd’hui, est de pousser ce produit dans le bon sens. Pour cela, il faut que les règles et les normes qui régissent son usage et sa fabrication soient le fait des autorités, et non des cigarettiers. Il faut notamment des produits de qualité, et une interdiction de la publicité. Ensuite, il ne faut pas autoriser de vapoter partout, dans les cours de lycée, les couloirs des hôpitaux. Il faut l’interdire dans les lieux de forte proximité entre les gens.
«En fait, je suis pour l’interdiction de vapoter là où l’on ne peut plus fumer. Même s’ il reste des incohérences à régler : on peut fumer en prison, mais pas vapoter. Dans les hôpitaux psychiatriques, certains l’autorisent, d’autres pas. On attend des règles précises, alors que les annonces de la ministre me paraissent un peu floues.
«Reste que je suis un farouche partisan du vapotage pour une simple raison : un fumeur sur deux va mourir du tabac. Un vapoteur, jamais ou exceptionnellement. Un nombre important de fumeurs qui essayent la cigarette électronique y trouvent une satisfaction qui leur permet d’arrêter la cigarette, alors qu’ils n’en avaient pas l’intention. Ils y trouvent un nouveau plaisir. On ne dit pas aux gens "sevrez-vous", on leur dit changer de plaisir ! Et cela marche.
«L’an passé, on a enregistré une baisse de 7,2% de ventes de cigarettes ou de tabac. Près de 20% en quatre ans. Une chute inédite. Sans aucun fait nouveau, hors l’arrivée de la e-cigarette. On peut donc lui attribuer une bonne partie de cette baisse. Je ne dis pas que la cigarette électronique est un miracle, mais c’est un outil qui peut considérablement aider. On a longtemps cru que la motivation était le seul critère pour arrêter de fumer. Maintenant, on voit que c’est le plaisir. Celui de vapoter.»
«La même pub que les cigarettiers»
INTERVIEW
INTERVIEW
Karine Galopell-Morvan, universitaire
Karine Galopell-Morvan est professeure des universités en marketing social à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP).
«Ce qui me frappe, c’est combien le marketing autour de l’e-cigarette paraît de plus en plus comme un copier-coller du marketing des industriels du tabac. Ce sont les mêmes images, les mêmes symboles qui sont véhiculés. Il y a le côté liberté, le côté glamour, on voit des femmes toujours très belles, des jeunes toniques… Et le risque est là, que l’on récupère toute l’imagerie des symboles de l’industrie du tabac et que l’on renormalise l’image et l’usage du tabac par le biais des e-cigarettes.
«Des exemples ? Il y a un gros travail sur les arômes de la part des industriels du tabac, et c’est la même chose pour l’e-cigarette. On trouve des arômes aux noms enchanteurs, qui ciblent ouvertement les jeunes. Toujours ce même parallélisme, ce qui est troublant.
«On voit aussi un phénomène nouveau avec les industriels du tabac qui commencent à récupérer certaines marques d’e-cigarettes. Cela leur permet au passage de faire des publicités interdites : l’on vante les mérites de l’un avec les images de l’autre. Fiesta, par exemple, est une marque d’e-cigarette, et derrière, il y a un industriel du tabac.
«Reste que l’on manque encore de données. On sait seulement qu’aux Etats-Unis, entre 2012 et 2013, il y a eu une hausse de 20% des budgets publicitaires sur l’e-cigarette. En 2013, on en était à 100 millions de dollars [77,7 millions d’euros, ndlr]. En France, nous avons monté un observatoire à l’EHESP, et on note la profusion d’annonces publicitaires, même dans les médias classiques comme la télé. On a récupéré une publicité pour une e-cigarette, avec en arrière fond, le cow-boy de Marlboro.
«Le marché de l’e-cigarette est très dynamique, avec beaucoup d’acteurs, entre les producteurs d’e-cigarettes et ceux qui fabriquent les arômes. Il y a un nombre d’entreprises très impressionnant. On a maintenant des e-chichas, des e-joints [aux Etats-Unis, ndlr]. En plus, il y a une particularité : le consommateur est très actif, il la promeut beaucoup, comme on le voit dans les forums ou les sites. Aujourd’hui, il y a un clivage, comme on en a rarement connu, entre les partisans et les opposants. Et c’est sur l’image que cela va se jouer aussi.»
(art & source ecig-privee)
Karine Galopell-Morvan est professeure des universités en marketing social à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP).
«Ce qui me frappe, c’est combien le marketing autour de l’e-cigarette paraît de plus en plus comme un copier-coller du marketing des industriels du tabac. Ce sont les mêmes images, les mêmes symboles qui sont véhiculés. Il y a le côté liberté, le côté glamour, on voit des femmes toujours très belles, des jeunes toniques… Et le risque est là, que l’on récupère toute l’imagerie des symboles de l’industrie du tabac et que l’on renormalise l’image et l’usage du tabac par le biais des e-cigarettes.
«Des exemples ? Il y a un gros travail sur les arômes de la part des industriels du tabac, et c’est la même chose pour l’e-cigarette. On trouve des arômes aux noms enchanteurs, qui ciblent ouvertement les jeunes. Toujours ce même parallélisme, ce qui est troublant.
«On voit aussi un phénomène nouveau avec les industriels du tabac qui commencent à récupérer certaines marques d’e-cigarettes. Cela leur permet au passage de faire des publicités interdites : l’on vante les mérites de l’un avec les images de l’autre. Fiesta, par exemple, est une marque d’e-cigarette, et derrière, il y a un industriel du tabac.
«Reste que l’on manque encore de données. On sait seulement qu’aux Etats-Unis, entre 2012 et 2013, il y a eu une hausse de 20% des budgets publicitaires sur l’e-cigarette. En 2013, on en était à 100 millions de dollars [77,7 millions d’euros, ndlr]. En France, nous avons monté un observatoire à l’EHESP, et on note la profusion d’annonces publicitaires, même dans les médias classiques comme la télé. On a récupéré une publicité pour une e-cigarette, avec en arrière fond, le cow-boy de Marlboro.
«Le marché de l’e-cigarette est très dynamique, avec beaucoup d’acteurs, entre les producteurs d’e-cigarettes et ceux qui fabriquent les arômes. Il y a un nombre d’entreprises très impressionnant. On a maintenant des e-chichas, des e-joints [aux Etats-Unis, ndlr]. En plus, il y a une particularité : le consommateur est très actif, il la promeut beaucoup, comme on le voit dans les forums ou les sites. Aujourd’hui, il y a un clivage, comme on en a rarement connu, entre les partisans et les opposants. Et c’est sur l’image que cela va se jouer aussi.»
(art & source ecig-privee)
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